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Le charqueador et le bagnard.
12 mai 2015

Raoul LEROY

 

 

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                             Raoul LEROY

                   (Mari de ma grande cousine)

 

Achille Pierre Raoul LEROY

Né le 2 octobre 1868 à Auxerre, 89 (33, rue de Coulanges).

Médecin adjoint à l'asile d'aliénés de Navarre.

a épousé Marthe Marie GESBERT le 6 avril 1899 à Damville, Eure (domicilié route de Conches à Evreux lors de son mariage).

Témoins au mariage: Jean Roux, 34 ans, docteur en médecine de la faculté de Paris, demeurant 141 rue de Rome, oncle de l'épouse et Louis Laporte, ancien notaire, 51 ans, demeurant 5 rue Eudoxe Marcille à Orléans, cousin de l'épouse.

 

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Témoins au mariage: Jean Roux, 34 ans, docteur en médecine de la Faculté de Paris, demeurant 141, rue de Rome, oncle de l'épouse ; Louis Laporte, ancien notaire, 51 ans, demeurant 5, rue Eudoxe Marcille à Orléans, cousin de l'épouse.

Le Docteur Raoul LEROY a été médecin adjoint à l'asile des aliénés de Navarre.

 

    Le sort des aliénés mineurs criminels préoccupe dès la fin du XIXe siècle les médecins de Navarre, d’autant qu’ils cumulent les fonctions ; ainsi en 1902 le docteur Leroy est médecin de la colonie des Douaires, de la colonie correctionnelle disciplinaire qui lui est adjointe, médecin-adjoint de l’asile psychiatrique de Navarre et médecin de l’asile d’aliénés criminels installé dans les murs de la maison centrale de Gaillon. Des jeunes pupilles des Douaires furent de temps à autres transférés à l’hôpital psychiatrique. Qualifiés de « fous moraux », il leur était reproché d’être dépourvus de valeurs morales, d’avoir de « mauvais instincts » ou de se livrer trop fréquemment à l’onanisme. Des transferts disciplinaires, semble-t-il. Certains épileptiques, des suicidaires ne séjournaient que temporairement à l’asile pour y recevoir des soins, mission première de cet établissement. Ces passerelles entre prise en charge sanitaire et éducation correctionnelle mériteraient d’être à nouveau étudiées, car elles préfigurent la catégorie des enfants « inadaptés » du XXe siècle. (Jean-Claude Vimont) 

 

                                                 L’asile de Navarre, entre soins, assistance et répression
Date de publication : 2009

 

 Florence ROUSSEL

     L’asile d’aliénés de Navarre [23], situé à quelques kilomètres d’Evreux, ouvre ses portes en 1866 après une lente et onéreuse construction lancée par le Conseil général de l’Eure. Prévu pour 500 places, l’asile accueille chaque année, de 1875 à 1914, plus de 800 aliénés, hommes, femmes et enfants du département et des régions voisines. C’est l’un des plus grands asiles jamais construits en France, c’est celui qui a nécessité le plus fort investissement à l’exception des asiles parisiens. L’asile de Navarre est une application tardive de la loi du 30 juin 1838 2 chargée de régler l’encadrement des aliénés tout en préservant la société de tous ceux qui troublent l’espace public. C’est aussi la première grande mesure législative française qui reconnaît et organise un droit à l’assistance et à des soins gratuits pour une catégorie particulière de la population. En effet, la loi précise que les aliénés indigents doivent être pris en charge financièrement par le Conseil général. Cette loi de 1838 sur les aliénés intervient bien avant les lois sociales promulguées au milieu et à la fin du XIXe siècle envers les enfants, les personnes âgées ou les autres catégories de malades. Dans les textes de l’époque, médicaux ou administratifs, les aliénés sont désignés comme des « malades », des « malheureux » ou encore des « séquestrés ». Cette triple dénomination témoigne de la difficulté de l’époque à classer les aliénés dans une catégorie précise de nécessiteux. Parallèlement, l’asile de Navarre possède une triple identité : il peut s’apparenter à un hôpital, à un hospice et à une prison. Quel rôle social l’asile de Navarre joue-t-il précisément au XIXe siècle ? Quelle place occupe-t-il dans le réseau départemental de contrôle de la déviance ?

                                                           I – L’ASILE, UN ESPACE THÉRAPEUTIQUE

Les changements profonds qui se sont produits à la fin de l’Ancien-Régime ont largement conditionné les représentations de la folie et le sort réservé aux aliénés tout au long du XIXe siècle. Les courants de pensée rationaliste amènent des conceptions nouvelles sur la folie. La référence au sacré est progressivement abandonnée, les aliénés ne sont plus considérés comme des possédés de Dieu ni des hallucinés du diable. Le fou acquiert peu à peu le statut de malade, le terme de folie est remplacé par celui d’aliénation mentale : on commence à admettre l’idée de la curabilité de la folie.

Le traitement moral

Au XIXe siècle, le traitement moral est la principale méthode utilisée pour soigner les populations aliénées. Il s’agit de l’ensemble des conditions ou activités susceptibles de modifier la façon de penser du malade. Il est basé sur le dialogue entre le médecin et le patient et sur trois principes essentiels : l’isolement, les distractions et le travail. L’isolement : le terme « asile » vient du grec asulon qui signifie “lieu inviolable, dans lequel on peut se réfugier en cas de persécution”. Tel qu’il est conçu par les premiers aliénistes du XIXe siècle, il est défini comme un lieu d’isolement du monde extérieur pour l’aliéné. La première condition à réaliser pour guérir un aliéné consiste à changer la direction vicieuse de ses idées, et, pour obtenir ce résultat, il n’y a pas de plus sûr moyen que de le soustraire à ses habitudes, de l’éloigner du milieu où le délire a éclaté. L’internement à l’asile est donc considéré en lui-même comme une mesure thérapeutique. D’ailleurs, le plan de Navarre reflète les conceptions architecturales des aliénistes de l’époque [24] Les distractions : l’isolement ne suffit pas toujours à détourner l’aliéné de son délire. Il faut donc le divertir, à l’intérieur de l’asile, par tous les moyens possibles. Le traitement moral ne doit jamais laisser l’aliéné livré à lui-même, l’oisiveté et la paresse doivent être combattues énergiquement. Le dessin, la lecture, la peinture, la musique et le théâtre sont proposés régulièrement à Navarre, des cours d’instruction élémentaire et des offices religieux sont également dispensés. Le travail est une indication médicale pour sortir le malade de son isolement par une participation active à la vie communautaire. Comme tout exercice physique, c’est aussi un agent de guérison en favorisant la nutrition et en tempérant l’excitation nerveuse. Le travail agricole et la culture des champs en plein air sont considérés comme particulièrement bénéfiques. Le travail est aussi une activité indispensable en vue d’un éventuel retour à la vie extérieure. Dans une société en pleine mutation économique, le travail est un impératif. On peut d’ailleurs se demander si la mise au travail de l’aliéné n’est pas le but du traitement avant d’en être l’outil. Outre le traitement moral, quatre thérapeutiques nouvelles sont expérimentées à Navarre : l’hydrothérapie, la pharmacopée, la diététique et l’hypnose. Cependant, elles restent à l’état d’expérience scientifique et ne sont généralement réservées qu’à certains malades particuliers.

Les limites du traitement

Le caractère thérapeutique de l’asile est toutefois limité par la forte présence des aliénés incurables et par la faiblesse numérique des guérisons. En effet, la population jugée incurable par les médecins dépasse toujours la population curable. Les sorties pour guérison ou améliorations n’ont jamais atteint 10% de la population traitée chaque année. De nombreux aliénés sont donc progressivement privés de soins médicaux. C’est d’autant plus vrai que l’asile ne compte au maximum que deux médecins. Il est difficile dans ces conditions de ne pas considérer l’asile comme une simple garderie. Si la volonté d’améliorer la condition de vie des aliénés est indiscutable, l’asile apparaît impuissant pour les soigner et se contente de les garder.

                                                            II – L’ASILE, UN REFUGE DES MISÈRES

Les comportements déviants

Les maladies de l’esprit et du comportement sont perçues et traitées différemment selon les époques et les pays [25] C’est la société qui définit les normes de conduite et qui assigne ses limites aux comportements déviants. Ainsi, l’asile est un lieu d’observation privilégié des conduites asociales d’une époque. L’histoire de la folie permet de souligner certains des comportements stigmatisés par la société française du XIXe siècle et de faire apparaître, en négatif, la normalité sociale. L’internement à l’asile peut traduire des troubles du comportement qui dépassent la tolérance sociale. Le déviant, celui qui transgresse la norme, représente un risque pour l’ordre public. L’étude de leur internement est riche d’enseignements sur les normes et les valeurs de la communauté, sur les catégories de population qui, à un moment donné, effraient la société. Comme le souligne Yannick Ripa, “l’inflation asilaire est la mesure, non de l’aliénation mentale mais de la peur des possédants” [26]

Un abri pour les pauvres

L’image de la pauvreté s’est profondément modifiée au cours du XIXe siècle. “La pauvreté est devenue une forme de déviance par rapport à une normalité qui implique, sinon la richesse, du moins une certaine autonomie dans l’accès aux biens matériels nécessaires à la vie” [27]. Ainsi, non seulement la misère est une source de folie par le surmenage physique et intellectuel qu’elle produit, mais elle représente aussi en soi une déviance et un danger pour la société. L’ordre et la sécurité, chers à la IIIème République, ne supportent plus le vagabondage des plus pauvres. “Que faire devant ces êtres déclassés et dépourvus de sens moral ? Leur fermer leur dernier refuge, c’est les pousser peut-être au suicide, peut-être au vol et à l’assassinat ? Ne vaut-il pas mieux dans l’intérêt de la société, les considérer comme des parias de l’intelligence, incapables de subvenir à leurs besoins” [28] L’asile d’aliénés est l’une des institutions qui permet d’encadrer cette population indigente. L’internement apparaît bien comme une mesure d’assistance et surtout de prévention de la criminalité de ces pauvres qui font peur. Ainsi, de nombreux internements à l’asile se font par l’intermédiaire des hospices du département qui transfèrent à Navarre les populations nécessiteuses qu’elles ne peuvent plus entretenir. En 1881, le directeur de l’asile se plaint d’ailleurs des hospices qui, “dans le but de se débarrasser de personnes plus ou moins incommodes” [29], transfèrent à Navarre des individus dont la seule déviance est leur pauvreté. Il ne faut pas occulter l’assistance que l’asile fournit aux indigents. Si les traitements sont limités, l’internement à l’asile permet aux plus humbles de survivre.

Une étape pour les prostituées

La misère, le libertinage, l’alcool et la syphilis semblent faire des prostituées les proies idéales de la folie. Or, les statistiques de Navarre n’attestent pas une présence importante des prostituées au sein de l’asile. Si les “filles publiques” constituent une catégorie à part entière des professions admises à l’asile jusqu’en 1878, seulement deux prostituées sont signalées en 1875. L’aliénation mentale des prostituées est pourtant un cliché maintes et maintes fois repris par les aliénistes. En réalité, de nombreuses femmes qui sont internées à Navarre pratiquent une prostitution clandestine, parfois seulement ponctuelle. Filles à soldat ou coureuses des campagnes, elles se prostituent quasi exclusivement en milieu rural. La pratique de l’amour vénal, contrairement à la mendicité ou au vagabondage, n’est pas un délit. L’article 334 du code pénal ne concerne que l’outrage et l’attentat aux bonnes moeurs. Si la prostitution n’est pas un délit, elle devient, dans le dernier tiers du XIXe siècle, une folie qui se transmet héréditairement. Non seulement les “abus vénériens” sont considérés comme une cause d’aliénation mentale, mais ils constituent en soi un trouble intellectuel. Les angoisses suscitées par le développement des maladies vénériennes entraînent une surveillance accrue des prostituées, considérées comme une “menace biologique et morale” [30]. Des internements administratifs et une réglementation très sévère se mettent en place à partir de 1885. La répression de la prostitution doit cependant s’inscrire dans le cadre plus large de la correction des déviances sexuelles. Jusqu’en 1877, onanisme et abus vénériens constituent d’ailleurs une seule et même rubrique des causes de l’aliénation mentale. A la fin du XIXe siècle, les pratiques sexuelles non conformes à la normalité définie par la société deviennent des pathologies mentales ou plus précisément sont qualifiées de “folie morale”. Pour beaucoup, doit être déclaré aliéné non seulement celui qui est privé de raison, mais aussi celui qui est privé de moralité et de vertu. Les dossiers révèlent de nombreux transferts de délinquants sexuels des prisons départementales vers l’asile.

Un recours contre l’alcoolisme

L’alcoolisme a pris dans la seconde moitié du XIXe siècle des proportions effrayantes, ce qui traduit la misère sociale de l’époque. Cette alcoolisation intense inquiète aussi les autorités et les milieux hygiénistes. On lui attribue, pour une large part, l’arrêt de la natalité, les maladies des organes digestifs et des centres nerveux, l’extension de la tuberculose, l’augmentation de la criminalité, l’envahissement des hôpitaux et surtout des asiles d’aliénés. En 1880, on avait même baptisé l’absinthe du nom de “correspondance”, formule raccourcie de “correspondance pour Charenton” [31]. Or, dans l’optique d’une revanche contre l’Allemagne, la IIIème République s’inquiète de la dégénérescence de la France. L’abus d’alcool est devenu un acte incivique qui entrave le développement de la société. Les “excès alcooliques” constituent à Navarre, sur l’ensemble de notre période, la première cause d’aliénation mentale. Tous les médecins de l’asile sont unanimes à attribuer une part grandissante des affections à l’alcool. La perception du rôle de l’alcool dans le développement de la folie évolue à la fin du XIXe siècle. De 1866 à 1897, l’alcoolisme n’apparaît dans les statistiques médicales de Navarre seulement en tant que cause déterminante de la folie. Postérieurement, l’alcoolisme devient aussi une catégorie nosographique, une forme de folie à part entière appelée “folie alcoolique”) [32]. Ainsi, la pauvreté, la prostitution et l’alcoolisme sont considérés à la fin du XIXe siècle comme des troubles mentaux et l’asile de Navarre permet de contrôler les comportements déviants qui en découlent.

                                                              III – L’ASILE, UN UNIVERS CARCÉRAL

Au XVIIIe siècle, imposer aux détenus sains d’esprit la compagnie des déments constituait un véritable scandale. Un siècle plus tard, c’est tout le contraire : l’idée de traiter des malades mentaux comme des malfaiteurs devient insupportable. Cependant, alors que l’asile de Navarre naît pour se démarquer du traitement infligé aux aliénés en prison, de nombreux observateurs lui reprochent son aspect carcéral.

Une majorité d’internements d’office

Deux types d’admission sont possibles à l’asile : le placement volontaire et le placement d’office. Celui-ci relève d’une décision préfectorale, appuyée par un avis médical, et s’applique en cas de dangerosité du malade pour l’ordre public. Les principaux comportements susceptibles de donner cours à une procédure de placement d’office sont l’errance, la violence ou les tapages publics. Au XIXe siècle, ces placements d’office sont très majoritaires. Ainsi, en 1871, 79 % des aliénés admis à Navarre sont placés sur ordre de l’autorité publique [33]. De nombreuses lettres d’aliénés retrouvées dans les archives de l’asile de Navarre témoignent d’un sentiment d’incompréhension face à un enfermement mal compris. Ils se disent « innocents », ce qui est l’un des topiques de la littérature pénale. L’asile vise donc autant à protéger la société qu’à soigner.

Une discipline sévère

D’autre part, les asiles et les prisons sont deux institutions qui exercent une surveillance continue sur les détenus. L’organisation collective de l’asile de Navarre, tels que les dortoirs et les réfectoires, impose une discipline sans faille. La régularité est une règle fondamentale de l’asile. La discipline procède également de la répartition stricte des aliénés au sein de l’établissement. Les quartiers sont cloisonnés, les aliénés ne peuvent circuler librement. Ils sont placés sous la surveillance permanente des gardiens. Leur autorité s’exerce sur les moindres détails de la vie quotidienne. L’individu interné perd son autonomie et doit solliciter une autorisation pour les actes les plus mineurs. La discipline passe également par la dépersonnalisation des aliénés à qui on attribue un matricule. Sur les tombes du cimetière de l’asile, seul ce matricule permet leur identification [34]. La cérémonie d’admission est symbolique de ce dépouillement. A l’inventaire des effets personnels succèdent la distribution éventuelle de vêtements et la communication des règles de l’établissement. Le confort, s’il tend à s’améliorer, est rudimentaire. L’asile est aussi un univers de violence. Les aliénés peuvent être agressifs et parfois dangereux. Certains déchirent leurs habits, cassent des carreaux, frappent les gardiens ou les autres aliénés. Le quotidien de l’asile est rythmé par ces multiples incidents. Cette violence oblige les gardiens à utiliser des moyens de contention comme la camisole. La prison et l’asile affichent parfois leur volonté de transformer l’individu, de l’amender. Les moyens mis en oeuvre ressortent pour les deux institutions d’un traitement moral. Les deux institutions sont également accusées d’augmenter les déviances qu’elles étaient censées contrôler. La prison, au lieu de favoriser la réinsertion des délinquants, multiplierait les récidivistes. L’asile, au lieu de soigner les aliénés, les rendrait encore plus fous. Des expressions très équivoques ponctuent le discours des aliénistes et confortent l’aspect carcéral de l’asile. Quand il ne “s’évade” pas, l’aliéné peut être “rendu à la société”, “libéré”. Les dossiers médicaux évoquent également “les récidives”, comme synonyme de rechutes. Le vocabulaire entretient ainsi la confusion entre l’internement asilaire et l’enfermement judiciaire.

                          IV – L’ASILE, UN PÔLE DU RÉSEAU D’ENCADREMENT SOCIAL DÉPARTEMENTAL

De multiples interactions existent entre les institutions pénitentiaires et sociales du département et l’asile de Navarre.

La question des aliénés criminels

Tout d’abord, les prisonniers du département reconnus aliénés pendant leur détention sont transférés à l’asile de Navarre. Cette mesure ne concerne que les aliénés condamnés à des peines de moins de un an. Toutefois, bien des malades mentaux passent inaperçus dans les prisons. Ce sont les actes violents et d’insubordination au sein de la prison qui éveillent le plus l’attention des autorités pénitentiaires. Si la justice conclut à l’irresponsabilité de l’accusé pour cause d’aliénation mentale, celui-ci est alors emmené de la maison d’arrêt à l’asile sans procès. L’article 64 du code pénal de 1810 stipule en effet “qu’il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister”.

L’asile pour aliénés criminels de Gaillon

En 1891, lors du congrès de médecine mentale qui se tient à Rouen, le Dr BRUNET, alors directeur-médecin de l’asile, fait un exposé sur la nécessité d’un asile national pour les aliénés criminels. D’après lui, la dissémination de ceux-ci dans les asiles ordinaires « est une cause constante de désordre pour ces établissements » [35]. Si le Dr Brunet prend la parole lors du congrès, c’est qu’il est particulièrement concerné par le sujet. Dès 1867, des bâtiments sans emploi de la maison centrale de Gaillon (Eure) sont affectés à un quartier réservé aux condamnés extraits des prisons pour aliénation mentale. Le 17 mai 1876, cette annexe devient officiellement “l’asile spécial pour aliénés criminels” [36], il est unique en France. Il concerne uniquement les prisonniers devenus aliénés pendant leur captivité et non les aliénés dangereux ou devenus criminels à l’asile. D’après les comptes du Dr Brunet en 1890, « l’asile d’Evreux, du 23 janvier 1867 au 23 juillet 1890, a reçu du quartier de Gaillon 128 aliénés » [37]. Or, la promiscuité des malades et des criminels n’a de cesse d’être dénoncée par les médecins de l’asile. Le Dr Brunet reproche également au système en vigueur de favoriser, ou tout du moins de ne pas assez réprimer, les simulations de certains criminels qui, pour échapper à la justice, se font passer pour des aliénés.

La colonie des Douaires

L’asile entretient des relations beaucoup plus constructives avec la colonie agricole des Douaires, près de Gaillon. Au départ, cette colonie pénitentiaire est une annexe de la centrale de détention, [38] la séparation officielle n’a lieu qu’en 1862. Conçu comme une alternative à la prison pour la jeunesse délinquante, cette institution associe une organisation militaire à un apprentissage agricole. Le retour à la terre, les activités purificatrices de la campagne et la discipline doivent, dans l’esprit de ses créateurs, moraliser une jeunesse incapable de se plier aux contraintes de l’ordre moral et social [39]. Que faire des aliénés mineurs criminels ? Doivent-ils d’abord être internés à l’asile au titre d’aliénés ou dans des colonies pénitentiaires au titre de jeunes délinquants ? La complexité du problème explique qu’il n’y ait pas de solution unique : les colonies pénitentiaires, comme celle des Douaires, et certains asiles d’aliénés, comme Navarre, accueillent, selon les cas, cette même population. Dès 1902, le Dr Leroy, médecin-adjoint de l’asile de Navarre depuis 1898, devient le médecin officiel de l’asile pour aliénés criminels de Gaillon et médecin de la colonie des Douaires. La direction des deux établissements de Gaillon est d’ailleurs assurée, à partir de 1902, par un même homme, le docteur Brun. Les liens entre l’asile de Navarre, l’asile pour aliénés criminels de Gaillon et la colonie des Douaires se résument-ils seulement à une communauté d’esprit de leurs dirigeants et à une communauté d’agents (les médecins aliénistes) ? Ne peut-on pas y déceler les bases d’un réseau d’encadrement des mineurs “inadaptés” à l’ordre social de l’époque ? En 1901, le docteur Brun analyse la personnalité des pupilles des colonies correctionnelles. Il divise cette population en 4 catégories : les intelligents, les vicieux, les indifférents et les arriérés. D’après des recherches faîtes au début du XXe siècle à la colonie publique des Douaires, [40] on pourrait estimer à 15 % au minimum la moyenne des enfants enfermés dans un établissement pénitentiaire et dont la place serait dans un asile d’aliénés, ou tout au moins dans un établissement spécial. Dix dossiers d’aliénés ayant séjourné aux Douaires ont été retrouvés dans les registres de sortie ou de décès de l’asile. Les échanges entre l’asile et la colonie sont toutefois bien supérieurs. Rien qu’en 1867, onze garçons sont transférés à Navarre [41]. Si la faiblesse statistique de nos cas est évidente, leur analyse peut toutefois permettre de mettre en valeur les liens entre l’asile et la colonie des Douaires. D’après nos sources, la majorité des transferts concerne les “fous moraux”, [42] c’est à dire les colons dont les valeurs morales sont jugées insuffisantes. Le niveau des facultés intellectuelles, au contraire, ne semble pas prépondérant. Ainsi, le nommé E., admis à l’asile le 22 février 1900, est décrit comme “menteur, indiscipliné, turbulent, dénonciateur, voleur”. Pourtant, “ce jeune malade qui est très intelligent ne manifeste aucune idée délirante” [43]. D’autre part, les colons transférés sont ceux qui posent problème à la colonie, ceux que l’indiscipline et la violence rendent dangereux pour eux-mêmes ou pour leurs congénères. En définitive, ce ne sont pas les jeunes atteints de troubles mentaux qui sont en priorité transférés vers l’asile de Navarre mais ceux que la colonie n’arrive pas ou plus à encadrer. L’internement à l’asile d’aliénés marque donc l’échec de la colonie dans la rééducation d’une certaine partie de l’enfance « inadaptée ». L’âge des colons transférés est également révélateur. Lors de leur entrée à l’asile, ils ont tous plus de quinze ans. Il s’agit donc des jeunes les plus âgés, ceux qui sont les plus difficiles à régenter. Il ne faut pas croire que le placement à l’asile met un terme aux efforts de la société pour réinsérer ces jeunes. Marcel A. (n° 4000), transféré des Douaires à l’asile pour épilepsie le 1er octobre 1909, en sort “guéri” le 15 août 1911. Si la sortie de l’asile est autorisée, c’est avant tout parce qu’un travail attend le jeune homme. Dans le dossier médical, le médecin s’explique ainsi : “M. le directeur de la colonie des Douaires avec lequel j’ai correspondu m’a fait connaître qu’il pourrait confier ce jeune homme à un cultivateur de la région après avoir prévenu son patron de la maladie dont il a été atteint afin de le faire visiter par un médecin en cas de récidive et de le réintégrer à l’asile” [44]. Cette initiative du directeur des Douaires symbolise tous les efforts accomplis par la colonie en ce qui concerne la “postcure”. Un soin tout particulier est en effet apporté au patronage des anciens colons et la direction de l’asile collabore à cette action. En définitive, cette analyse inscrit l’asile dans une définition plus large que ne le voudraient les seules caractéristiques d’un établissement de soins. Il y a un décalage entre la volonté affichée d’instituer l’asile en hôpital, et ses pratiques qui le lient davantage, au XIXe siècle, aux établissements carcéraux. En effet, l’asile de Navarre est un univers de réclusion étroitement lié au réseau carcéral de l’Eure. C’est un espace de redressement moral qui participe à l’encadrement des populations asociales du département. Les internements psychiatriques semblent mettre en lumière un contrôle de plus en plus important de la société sur toutes les catégories d’asociaux. Pauvreté, prostitution et alcoolisme sont autant de menaces pour le corps social et donnent lieu à des internements de sécurité publique. La loi de 1838, en admettant officiellement ce rôle de préservation sociale de l’asile, plaçait définitivement l’établissement asilaire dans la catégorie des institutions de répression. Les efforts thérapeutiques sont limités par ce rôle de contrôle des désordres sociaux issus de la Révolution industrielle. Les transferts d’aliénés opérés entre l’asile, les hospices, les prisons et les institutions spécialisées (asile pour criminel de Gaillon et colonie des Douaires) témoignent aussi de l’incapacité de l’administration à différencier la population spécifique de chacun de ces établissements. Ils sont cependant révélateurs d’une collaboration étroite entre les institutions du contrôle de la déviance du département. Au XIXe siècle, le rôle de l’asile de Navarre oscille donc entre soins, assistance et répression des comportements déviants de la société française. 


Florence ROUSSEL

[1] La loi de 1838 prévoit que chaque département dispose d’un établissement public spécialement réservé au soin des aliénés. Elle fixe aussi les modalités d’entrée et de sortie de l’asile, de façon à éviter tout arbitraire. Cf Claude Quetel, La loi de 1838 sur les aliénés volume I : l’élaboration, Paris, Frénésie éditions, 1988, 139 p

[2] Lucille Grand, Maximilien Parchappe de Vinay(1800-1866)Inspecteur général des asiles d’aliénés et du service sanitaire des prisons, Ecole Nationale des Chartes, thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe, Paris, 1995, [Vol. I, pp. 232-256, Vol. III, Vol. V].

[3] C’est le théorème de base de l’ethnopsychiatrie, fondée par Georges Devereux. En étudiant les troubles mentaux, en fonction des groupes ethniques ou culturels, ainsi que la place qu’ils occupent dans l’équilibre social, cette discipline nous apprend que chaque collectivité sécrète ses propres modèles de déviance.

[4] Cf. Yannick Ripa, La ronde des folles. Folie et enfermement au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1986, p. 20.

[5] Cf. Gabriel Désert (sous la dir. de), “Marginalité, déviance, pauvreté XIVe-XIXe siècles”, Cahier des Annales de Normandie, 1981, n° 13, p. 7

[6] Cf. Jules Dagron, Des aliénés et des asiles d’aliénés, Paris, Adrien Delahaye, 1875, 107 p.

[7] Cf. rapport moral 1881, archives du C.H.S

[8] Cf. Alain Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (XIXe-XXe siècles), Paris, Aubier, 1978, p. 166

[9] Pour plus d’information sur les méfaits de l’absinthe, consulter l’article de M-C. Delahaye, “Grandeur et décadence de la fée verte”, Histoire, économie et société, 4ème trimestre 1988, pp. 475-491

[10] Les médecins ne sont pas les seuls à illustrer cette théorie, les écrivains participent aussi à la divulguer. Dans la grande fresque des Rougon-Macquart, Zola étudie les lois de l’hérédité à travers l’histoire d’une famille sous le Second Empire. Il fait le sombre tableau de la déchéance morale et physique des hommes et des femmes victimes de l’alcoolisme. Cette description, comme les observations médicales de l’asile, semble bien traduire les angoisses d’une société effrayée par son avenir

[11] Cf rapport moral 187

[12] Cf. Lucille Grand, op. cit

[13] Cf. Congrès de médecine mentale, Paris, Masson, 1891, p. 215

[14] Cf. F. PACTET et Henri COLIN, Des aliénés dans les prisons, Paris, Masson, p. 18. Il faut signaler que Henri Colin, l’un des auteurs, avant d’être médecin en chef des asiles de la Seine a été médecin de la Centrale de Gaillon et médecin de l’asile spécial pour aliénés criminels

[15] Cf. Congrès de médecine mentale, op. cit., p. 216

[16] Dès 1824, la centrale de Gaillon achète des terres sur le haut-plateau voisin afin de mettre ses détenus au travail. En 1842, c’est la ferme des Douaires en elle-même qui est acquise. Puis, en 1848, le bâtiment devient l’habitation définitive des jeunes

[17] C’est le 5 août 1850 qu’une loi vient consacrer officiellement l’expérience des colonies agricoles. Elle précise que les jeunes détenus “sont élevés en commun, sous une discipline sévère, et appliqués aux travaux de l’agriculture, ainsi qu’aux principales industries qui s’y rattachent”. Pour plus d’information, voir l’ouvrage de Henri GAILLAC, Les maisons de correction 1830-1945, Paris, Cujas, 1991, 463 p.

[18] Cf. F. PACTET et Henri COLIN, op. cit., p. 33.

[19] Cf. rapport moral 1867, archives du C.H.S. de Navarre

[20] Expression du Dr BESSIERE, rapport moral 1900, archives du C.H.S. de Navarre.

[21] Ibidem

[22] Cf. A.C.H.S. registre des sorties 1911 (n° 4000)

[23] La loi de 1838 prévoit que chaque département dispose d’un établissement public spécialement réservé au soin des aliénés. Elle fixe aussi les modalités d’entrée et de sortie de l’asile, de façon à éviter tout arbitraire. Cf Claude Quetel, La loi de 1838 sur les aliénés volume I : l’élaboration, Paris, Frénésie éditions, 1988, 139 p

[24] Lucille Grand, Maximilien Parchappe de Vinay(1800-1866)Inspecteur général des asiles d’aliénés et du service sanitaire des prisons, Ecole Nationale des Chartes, thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe, Paris, 1995, [Vol. I, pp. 232-256, Vol. III, Vol. V].

[25] C’est le théorème de base de l’ethnopsychiatrie, fondée par Georges Devereux. En étudiant les troubles mentaux, en fonction des groupes ethniques ou culturels, ainsi que la place qu’ils occupent dans l’équilibre social, cette discipline nous apprend que chaque collectivité sécrète ses propres modèles de déviance.

[26] Cf. Yannick Ripa, La ronde des folles. Folie et enfermement au XIXe siècle, Paris, Aubier, 1986, p. 20.

[27] Cf. Gabriel Désert (sous la dir. de), “Marginalité, déviance, pauvreté XIVe-XIXe siècles”, Cahier des Annales de Normandie, 1981, n° 13, p. 7

[28] Cf. Jules Dagron, Des aliénés et des asiles d’aliénés, Paris, Adrien Delahaye, 1875, 107 p.

[29] Cf. rapport moral 1881, archives du C.H.S

[30] Cf. Alain Corbin, Les filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (XIXe-XXe siècles), Paris, Aubier, 1978, p. 166

[31] Pour plus d’information sur les méfaits de l’absinthe, consulter l’article de M-C. Delahaye, “Grandeur et décadence de la fée verte”, Histoire, économie et société, 4ème trimestre 1988, pp. 475-491

[32] Les médecins ne sont pas les seuls à illustrer cette théorie, les écrivains participent aussi à la divulguer. Dans la grande fresque des Rougon-Macquart, Zola étudie les lois de l’hérédité à travers l’histoire d’une famille sous le Second Empire. Il fait le sombre tableau de la déchéance morale et physique des hommes et des femmes victimes de l’alcoolisme. Cette description, comme les observations médicales de l’asile, semble bien traduire les angoisses d’une société effrayée par son avenir

[33] Cf rapport moral 187

[34] Cf. Lucille Grand, op. cit

[35] Cf. Congrès de médecine mentale, Paris, Masson, 1891, p. 215

[36] Cf. F. PACTET et Henri COLIN, Des aliénés dans les prisons, Paris, Masson, p. 18. Il faut signaler que Henri Colin, l’un des auteurs, avant d’être médecin en chef des asiles de la Seine a été médecin de la Centrale de Gaillon et médecin de l’asile spécial pour aliénés criminels

[37] Cf. Congrès de médecine mentale, op. cit., p. 216

[38] Dès 1824, la centrale de Gaillon achète des terres sur le haut-plateau voisin afin de mettre ses détenus au travail. En 1842, c’est la ferme des Douaires en elle-même qui est acquise. Puis, en 1848, le bâtiment devient l’habitation définitive des jeunes

[39] C’est le 5 août 1850 qu’une loi vient consacrer officiellement l’expérience des colonies agricoles. Elle précise que les jeunes détenus “sont élevés en commun, sous une discipline sévère, et appliqués aux travaux de l’agriculture, ainsi qu’aux principales industries qui s’y rattachent”. Pour plus d’information, voir l’ouvrage de Henri GAILLAC, Les maisons de correction 1830-1945, Paris, Cujas, 1991, 463 p.

[40] Cf. F. PACTET et Henri COLIN, op. cit., p. 33.

[41] Cf. rapport moral 1867, archives du C.H.S. de Navarre

[42] Expression du Dr BESSIERE, rapport moral 1900, archives du C.H.S. de Navarre.

[43] Ibidem

[44] Cf. A.C.H.S. registre des sorties 1911 (n° 4000)

 

Auteur : Florence Roussel, "L'asile de Navarre, entre soins, assistance et répression", Criminocorpus (en ligne), Varia, mis en ligne le 13 mars 2013, consulté le 30 juillet 2015. URL : http://criminocorpus.revues.org/2009 ; DOI : 10.400/criminocorpus.2009

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Le MASSAGE PLASTIQUE.tiff

du docteur Raoul Leroy:

"Contribution à l'étude de l'alcoolisme en Normandie / Notes et documents sur le bilan de l'alcoolisme dans l'Eure au 19ème s". - Evreux, impr. C. Herissey, 1902.

"Pyromanie et puberté : examen médico-légal d'un jeune incendiaire - impr. C. Herissey, Evreux 1905".

"Deux cas de Thorax en entonnoir dans la même famille - Auxerre, A. Lanier, 1905.

"Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française" - 16ème session, Lille- du 1 au 16 août 1906.

"La responsabilité des hystériques", rapport présenté par M. le Dr Raoul Leroy/ Lille/ Le Bigot, 1906.

"Le massage plastique dans les dermatoses de la face"    Paris 1908".

"Paralysie générale et malariathérapie", par R. Leroy et G. Médakovitch / Préface du professeur Dr Wagner Jauregg...avec graphiques dans le texte/ Paris, G. Doin et Cie, 1931.

"Avec les fous": Angoisses" de Joseph Rivière; préface du Dr Leroy, médecin-chef de l'asile clinique Sainte-Anne à Paris, 1932.

"Manuel technique de l'infirmier des établissements psychiatriques: à l'usage des candidats aux diplômes d'infirmier de ces établissements" 3° éd. revue , corrigée et augmentée / par les Drs Roger Mignot et L. Marchand ; préface de R. Leroy ; (préface de la 1° éd. par P. Sérieux éd. Toulouse-préface de la 2° éd. par le Dr Henri Colin, Saint Amand, impr. Bussière Doin, 1839.

 

" Les états affectifs dans les hallucinations lilliputiennes "- J. de Ps., XXII, 1925, p. 152-163. par le Dr R. Leroy :

     "  Les hallucinations lilliputiennes offrent un inérête spécial en tant qu'elles montrent la relation des états affectifs chez les hallucinés à des modifications physiologiques, dans lesquelles le sympathique joue un rôle primordial. ces hallucinations sont, généralement et dans les cas types, accompagnées d'un sentiment de surprise amusée, donc agréable et exempt de cette anxiété qui accompagne les hallucinations les plus connues, celles des alcooliques. Assez souvent, elles sont précédées ou suivies de visions terrifiantes banales ; parfois enfin, la vision minuscule s'accompagne de crainte et d'anxiété, ou même, mais dans des cas tout à fait exceptionnels, d'un état affectif indifférent. Le phénomène mental est parallèle à des modifications physiologiques, et les hallucinations lolliputiennes ont toujours le même caractère que l'état affectif."

                                                                                                                                                                                  G. -H. L.

 

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Le Docteur Raoul Leroy est au "Panthéon du massage" dressé par le CFDRM. 

 

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                         Catatonie chez une jeune fille de 20 ans, par M. LEROY. – (Présentation de malade).

 


     Je désire vous présenter aujourd’hui une jeune fille de 20 ans offrant depuis 4 ans de remarquables symptômes de catatonie. Yvonne F... est née le 20 juin 1888 à Paris. Ses antécédents héréditaires et personnels sont inconnus, car cette malade prononce rarement une parole et son dossier n’indique aucune adresse de famille. Les stigmates de dégénérescence abondent chez cette blondinette à type infantile : tète petite, front haut, oreilles à grand pavillon, voute palatine ogivale, mains petites, scoliose latérale à convexité gauche, développement plus considérable du bassin à droite, légère hypertrophie du corps thyroïde. Cette jeune fille entre le 27 septembre 1904 au dépôt des aliénés de la Préfecture de police comme placement d’office. Elle passe successivement à l’admission de Ste-Anne, puis à l’asile de [p. 139] Maison-Blanche. Les différents certificats constatent un état de débilité mentale et même d’imbécillitéavec apathie, indifférence, lenteur des mouvements, mutisme; il faut s’occuper d’elle constamment, l’habiller, la faire manger. Yvonne F... est transférée le 12 juillet 1905 à l’asile de Moisselles où mon prédécesseur, M. Trénel, pose le diagnostic decatatonie. L’état physique et intellectuel de la malade était alors le suivant : aspect indifférent, apathique, endormi : réponses rares, monosyllabiques faites d’une voix faible et indistincte : lenteur des mouvements : phénomènes intenses de catatonie ; position du Génie de la Bastille. Autres positions : reste le buste penché en avant, la tête baissée, la main droite passée derrière le cou ; conserve cette attitude jusqu’à ce qu’on lui donne l’ordre de s’asseoir. Lorsqu’elle s’assied, la malade garde les jambes tendues sans reposer le pied à terre. Grande suggestibilité : monte sur la table au commandement, descend, va, vient.

Cet état ne s’est pas modifié, Yvonne F... reste indifférente, engourdie, tantôt ouvrant les yeux, tantôt les fermant. Assise sur une chaise, elle reste toute la journée immobile, Lève-t-on son bras ? celui-ci garde la position donnée un temps excessivement long. Lève-t-on sa jambe ? même résultat. On peut donner à ses membres. à son tronc, à sa tête les positions les plus fatigantes et les plus singulières. On peut la faire asseoir en V sur le siège, le tronc et les jambes levées, elle reste ainsi en équilibre. C’est une femme automate, une véritable poupée articulée. [p. 140]

Si on lui ferme les yeux, elle tient les paupières baissées avec clignotement. Si, ayant les yeux fermés, on veut les lui ouvrir, elle résiste énergiquement. Il n’existe chez cette malade aucune spontanéité. Il faut la lever, l’habiller, la déshabiller, la coucher, la peigner, veiller à sa toilette. Elle gâte si l’infirmière n’a pas soin de la conduire aux cabinets et elle y resterait indéfiniment si on ne venait la chercher.
Yvonne mange seule, mais il faut lui mettre la cuillère entre les mains et la prier à plusieurs reprises de s’alimenter. Ses rares mouvements sont excessivement lents et encore est-il nécessaire de la stimuler. On fait lever la malade, et on lui dit de
marcher, elle reste immobile. On la pousse et elle se met alors à se promener de long en large dans la cour indéfiniment, jusqu’à ce qu’on l’arrête. La disparition de la volonté normale s’associe chez elle à une exaltation de l’automatisme.

La malade ne parle presque jamais spontanément ; on doit user de la plus grande patience pour arriver à lui faire répondre quelques monosyllabes prononcées à voix très basse et presque inintelligibles. Elle ne lit pas, n’écrit pas, mais nous ayons pu
arriver à lui faire copier son nom, une phrase, un dessin élémentaire : elle reproduit exactement le modèle, très lentement, avec attention, donnant aux lettres la même forme, la même dimension.

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Il est difficile de se rendre compte si la malade présente quelque idée délirante, quelque hallucination. Cela est peu probable, son [p. 141] état mental consiste dans une torpeur, un engourdissement extrême ; un poison stupéfiant semble imprégner
ses cellules cérébrales. Yvonne n’est pas cependant absolument étrangère au monde extérieur: elle regarde de temps à autre autour d’elle et demande quelquefois « du pain » ou « à boire ». Un jour même qu’une infirmière, la voyait tresser ses cheveux, lui faisait une réflexion sur sa coquetterie, la jeune fille répondit à voix basse : ‘mes cheveux étaient défaits ».

Cette apathie si caractéristique s’accompagne de quelques réactions motrices ; c’est ainsi qu’Yvonne se met quelquefois à rire à gorge déployée ou à éclater en sanglots sans aucun motif et sans qu’elle paraisse éprouver la moindre émotion.
Quelquefois elle fait la grimace, d’autres fois enfin elle fait des gestes brusques avec sa tête ou avec ses bras pendant une grande heure.
Au point de vue physique, on constate une exagération des réflexes tendineux des 2 côtés du corps : Babinski en flexion ; mydriase constante ; réflexes oculaires normaux ; pas de troubles de la sensibilité tactile ; pas de dermographisme ; cœur
normal avec légère tachycardie P = 92 ; poumons normaux ; ni sucre, ni albumine dans l’urine ; pas de crises convulsives : menstruation régulière ; température normale ; n’a jamais présenté aucune maladie incidente depuis son entrée dans le
service.
Ainsi que vous pouvez le constater vous-même, nous sommes ici en présence d’un cas typique de catatonie. Est-il possible de pousser plus loin l’étude du sujet et de rattacher ce symptôme à une entité morbide définie ? La débilité mentale de cette
jeune fille semble très probable étant donnés ses stigmates physiques de dégénérescence. Présente-t-elle de l’affaiblissement intellectuel ? Il est difficile d’être fixé sur ce point, vu son état. L’attention existe bien chez elle. Vous la voyez jeter quelques regards autour d’elle et vous avez examiné ses copies de dessin, mais en est-il de même des autres opérations intellectuelles ? Les accès de rire, les tics observés me font pencher vers la maladie de Kahlbaum, je n’affirme rien cependant et je serais très heureux d’avoir l’avis de mes collègues,


DISCUSSION
M. MAGNAN. — La malade ne semble pas aussi apathique et aussi affaiblie au point de vue intellectuel qu’on semble le dire, je ne puis croire pour ma part qu’il s’agisse là d’une démente.


M. RITTI. — Je suis de M. Magnan ; cette petite malade m’a paru prêter beaucoup d’attention à tout ce qui se passait autour d’elle et je serais bien surpris si on ne parvenait pas à modifier son état actuel.


M. PACTET. — Je comprends l’hésitation de M, Leroy à affirmer, dans le cas qui nous occupe, le diagnostic de démence précoce. Il n’est pas douteux, toutefois, si nous nous reportons seulement à trois ou quatre ans en arrière, qu’alors une
semblable situation [p. 142] clinique eût semblé l’imposer. C’était en effet la période d’acception intégrale des idées du moment de Kraepelin, sur la question, période qui s’était ouverte au Congrès de Pau où les vulgarisateurs en France des théories du professeur de Munich s’efforçaient de faire entrer la pathologie mentale à peu près tout entière dans le cadre de la démence précoce. J’ai déjà soulevé, à l’époque, quelques objections relativement à une conception aussi compréhensive
qui me semblait peu en harmonie avec l’observation clinique et je n’ai pas lieu de m’en repentir puisque Kraepelin lui-même reconnaît aujourd’hui la nécessité d’uneRrévision des faits qu’il avait groupés dans certaines formes de cette maladie. La malade de M. Leroy s’offre à nous sous l’aspect de la dépression et de l’inertie physique et psychique.S’agit-il, dans ce cas, d’un état mélancolique ou de démence ? C’est un problème qu’il me paraît difficile de résoudre, en l’absence d’une analyse complète de l’état mental. M. Leroy nous déclare ne pas être fixé relativement à l’existence chez elle de délire et d’hallucinations ; or ce serait un point important à établir, car les réactions motrices qu’il a eu, par intervalles, l’occasion de constater, pourraient n’être pas des actes purement automatiques, mais se trouver déterminées par des idées délirantes ou des troubles sensoriels. Nous constatons d’autre part que les facultés intellectuelles ne sont pas éteintes chez cette jeune fille et qu’elle conserve des sentiments affectifs. Cet ensemble de constatations commande la prudence dans l’affirmation du diagnostic de démence précoce. Notez bien que je n’élimine pas a priori le diagnostic d’hébéphrénie, mais je pense que nous pouvons aussi nous trouver en présence d’un syndrome mélancolique susceptible d’amélioration et qui n’évoluera pas fatalement vers la démence. N’oublions pas que la forme catatonique de la démence précoce serait celle qui donnerait le plus fort contingent de guérisons, jusqu’à 15%, et, dès lors, ne serait-on pas en droit de se demander si cette proportion considérable de cas de guérison d’un état démentiel ne s’expliquerait pas par des diagnostics un peu prématurés ?

Voici par exemple un cas qui me mettrait, si, à l’origine, j’avais cru à l’existence de la démence précoce, dans l’alternative, de déclarer aujourd’hui qu’il a été suivi de guérison ou de m’accuser d’une erreur de diagnostic.Il s’agit d’un jeune homme de 30 ans que j’observe, il va y avoir bientôt un an, et qui, depuis son entrée dans mon service, est resté plongé dans un état de
dépression confinant à la stupeur, entrecoupé, à de rares intervalles, par de courtes phases d’excitation. Le certificat rédigé, à son sujet, à l’infirmerie spéciale, indiquait qu’il se renfermait dans un mutisme absolu, qu’il présentait des attitudes théâtrales
et stéréotypées, de l’opposition aux ordres qu’on lui donnait et qu’il était parti du domicile maternel après une crise de sanglots et l’émission de propos incohérents. [p. 143] J’ai de plus constaté chez lui les phénomènes catatoniques les mieux
caractérisés, On aurait pu être tenté de considérer ce malade comme étant un dément précoce, Eh bien, depuis une quinzaine de jours, son état s’est totalement modifié : il est sorti de la dépression, il parle, il s’occupe à lire et à dessiner, joue avec ses camarades et manifeste dans la conversation une activité intellectuelle qui exclut la possibilité de la démence.
M. COLIN. — J’ai observé pendant longtemps une malade de l’âge de celle qui nous est présentée, et qui offrait des symptômes analogues. Et ! bien il s’agissait d’un cas de confusion mentale, et la malade a parfaitement guéri à la suite d’une
maladie aiguë. Elle a quitté Villejuif après un séjour de près de deux ans dans les Asiles.

 

 

 

 

 

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Commentaires
P
Bonjour, Raoul Leroy est mon arrière-grand-père... J'en apprends beaucoup sur votre blog ! Merci ! Priscille Leroy
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Le charqueador et le bagnard.
  • Plus aucune trace de lui... Pas même une pierre tombale. Deux frères nommés Jean-Baptiste : l'un mon aïeul, vice-consul de France au Brésil ; l'autre, bagnard condamné, en 1829, aux travaux forcés à perpétuité, pour crime contre la religion de l'Etat.
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